Dylan Dog est né en 1986, en Italie. Détective privé ne s’occupant que des affaires dont personne d’autre ne veut, surtout quand elles touchent de près au surnaturel, ce personnage a pris vie sous bien des signatures différentes. Celle de Corrado Roi, par exemple. Un dessinateur extraordinaire!
Et donc, voici un album qui nous montre ce détective se lancer dans une nouvelle enquête. Cet homme au visage juvénile, au regard perçant, et à l’allure trop tranquille aide une jeune psychologue plus qu’avenante à comprendre un drame qui assombrit les rues de Londres. Ce sont des dizaines d’enfants qui disparaissent laissant leurs familles désemparées et de plus en plus en colère contre les pouvoirs publics qui ne résolvent rien, et sui refusent d’envisager ce qu’il peut y avoir derrière le miroir des apparences…
Il est difficile de dire combien d’aventures a vécu ce détective hors normes. Énormément, plus de 350 en tout cas, dans les « fumetti » très populaires en Italie. Et très peu de ces aventures ont été traduites en français, chez Glénat entre autres.
On peut dire de Dylan Dog, sans se tromper, qu’il fait partie des grandes séries bd à succès d’Italie. Dylan Dog est populaire, plaît à un large public. Pourtant, ce héros est très différent, thématiquement, littérairement aussi et surtout, de la production habituelle de ces « petits livres ».
Thématiquement, oui, parce que le surnaturel, le fantastique, ce sont habituellement des outils narratifs qui mettent plus en évidence des personnages très typés, très manichéens aussi, très référentiels enfin. Pour des aventures à lire le plus souvent au premier degré. Avec Dylan Dog, il en va tout autrement. Et au-delà de l’action, c’est l’ambiance qui prime, tant dans les scénarios que dans les dessins.
Avec cette « Berceuse Macabre », c’est bien le cas ! C’est un album littéraire, sans aucun doute. Un livre extrêmement écrit, avec une voix off omniprésente, qui ne raconte rien mais qui semble psalmodier une espèce de comptine, poétique et hermétique en même temps. Une comptine qui rythme les peurs et les angoisses des adultes, et les haines des enfants.
Et puis, en contrefort de cette intrigue centrale, il y a le personnage de Markus, joueur d’échec et montreur de marionnettes à la retraite. Un être étrange, à la philosophie confuse, qui, petit à petit, va occuper une place essentielle dans l’intrigue.
Quant au dessin, il est somptueux, avec des références graphiques qui louchent vers des dessinateurs aussi essentiels que Battaglia, avec des traitements des ombres et des lumières qui rappellent les meilleurs des comics, ceux de Corben, par exemple.
Pour découvrir ce livre, abandonnez tout sens de la raison. Retrouvez le plaisir, ensuite, des phrases qui poétisent le propos. Eprouvez, enfin, le vertige imposé par un récit qui, volontairement, laisse d’immenses plages de vide. Le lecteur, en effet, est pratiquement partie prenante dans la construction du récit…
C’est donc un livre étrange, pas vraiment facile d’accès.
Mais c’est un livre superbe, chantant, obsédant, oppressant, avec un dessin exceptionnel. Roi est extraordinaire : le noir et le blanc deviennent des éléments moteurs de son récit, ils soulignent, telles des couleurs invisibles, un conte pour enfants qui n’est qu’un conte d’horreur, comme tous les contes, d’ailleurs…
Jacques Schraûwen (Actua BD)