« Une petite fille avec un panier et un bonnet rouge…
Au fond des bois un grand loup noir… »
Ces deux phrases sur la quatrième de couverture de l’album résonnent dans notre imaginaire, comme familières. Et l’on reconnaît mis côte à côte les deux principaux protagonistes de la fable, comme les deux parties d’un même être…
À partir de cette trame bien connue et qui ne saurait lasser lorsque sa réécriture est faite avec talent, Zezelj propose au lecteur une plongée dans son singulier univers brut et une revisitation aussi belle qu’inquiétante du conte légendaire. Graphisme à la serpe, sombre déferlement d’une nature non policée, émotions à vif, absence de texte et refus du rouge. Pas de concessions, pas d’édulcoration du conte. Seule, dans sa vérité nue, l’image s’impose au lecteur sans échappatoire.
À grands traits d’encre noire, épaisse et profonde, la forêt établit son règne. Au cœur de ses hautes futaies et de ses fourrés peu rassurants, un loup, efflanqué et furibond, véritable maître des lieux et esprit dominant de cet espace perdu. Une enfant aux yeux immenses s’aventurant sur ces sentiers. Un chasseur aiguisant sa lame en attendant son heure, hôte de ces bois ancestraux, aussi dangereux que les bêtes qu’il traque.
Sous les feuillages, chacun joue sa partie et l’histoire se répète. On se croise, on se sépare, on se retrouve sur les chemins. Le loup et l’enfant semblent amicaux, sans peur. Jeux d’ombres, lumières en mouchetures blanches, plans vifs et composition dynamique, voire agressive. L’attaque est hypnotique, les regards des personnages en gros plans, troublants. L’artiste choisit de libérer l’enfant et son aïeule du ventre du prédateur, à la façon des Grimm. Mais ici l’histoire se poursuit et c’est à l’enfant que revient de libérer une bonne fois, la sauvagerie de l’homme le rendant semblable à l’animal qu’il vient de tuer. Malédiction ? Libération ?
Voici un conte pour enfants devenus grands mais encore et toujours aux prises avec les angoisses les plus ancrées de notre humanité. Zezelj les confronte et les entremêle, en interrogeant les parts les plus sombres de ce que nous sommes. Qu’est-ce qui provoque la peur ? la sauvagerie et la violence inhérentes à la nature ? celles de l’homme ? les actes semi-magiques réalisés par l’enfant ? Le regard mystérieux d’un loup semble receler toutes les réponses. Mais il nous revient de les trouver dans ces insondables pupilles noires.
Zezelj poursuit son parcours d’artiste atypique et passionnant et réalise ici un album noir, cruel, chamanique, d’une rare puissance tant graphique que psychologique.
Myriam Bendhif-Syllas
La cause littéraire