Hispaniola : un regard sur celles et ceux qui se sont battus pendant la guerre d’Espagne
Quelles raisons peut-on mettre en avant pour des engagements personnels dans des guerres idéologiques ? Ce sont quelques-unes d’entre elles que nous raconte ce livre d’un des plus grands auteurs italiens !
Lele Vianello est un de ces auteurs de bande dessinée bien trop cachés, bien trop méconnus même, osons-le dire… Sans doute est-ce dû à la longue collaboration avec Hugo Pratt, considéré à juste titre comme un des maîtres de la bande dessinée moderne.
Son style graphique fait dès lors incontestablement penser à celui de l’auteur de Corto Maltese. Avec cependant des différences notables : là où Pratt aimait faire deviner plus que montrer, Vianello aime quant à lui exprimer les sentiments de tous ses personnages au travers de leurs visages, de leurs regards, de leurs bouches. Là où Pratt aimait faire de ses récits des chemins initiatiques, Vianello privilégie l’aventure humaine, au quotidien de ses péripéties, de ses possibles, de ses horreurs comme de ses émerveillements.
Et c’est encore le cas avec ce livre-ci. Vianello adore mélanger les histoires (comme Pratt, d’ailleurs…), décrivant ainsi des destins qui dépendent du hasard bien plus que du vouloir personnel. Mais ce faisant, Vianello nous parle aussi de cette capacité qu’a l’être humain de modifier les paramètres de sa propre existence et, ainsi des existences qui l’entourent. On se trouve dans une espèce d’existentialisme à l’envers : chacun est responsable de tous ses actes et de toutes leurs répercussions, certes, mais chacun peut aussi refuser cette responsabilité…
Le héros de ce livre, Alain Lacombe, semble ainsi balloté par les événements, par les rencontres, par le désir, par l’Histoire. Au début de l’album, il se trouve en Algérie. Officier de la Légion étrangère, en cette année 1938, il profite de la vie. Surtout entre les bras de l’épouse de son colonel, qui les surprend et se fait tuer par sa femme…
Chevaleresque, Lacombe accepte de prendre la responsabilité de ce meurtre et, dès lors, se voit dans l’obligation de s’en aller d’Alger. Il veut traverser la Méditerranée et retrouver Marseille. Mais voilà, son navire se fait arraisonner par un bateau italien qui amène des armes en Espagne où la guerre civile bat son plein. Et après bien des péripéties, le voilà engagé contre les armées d’un Franco soutenu par l’Italie comme par l’Allemagne, dans une guerre qui voit surtout s’affronter des idéologies totalitaristes opposées.
Vianello nous montre une destinée : il dissèque les hasards qui, sans lien apparent entre eux, influent sur le déroulement d’une existence. Mais il le fait comme raconteur d’histoire, sans aucune lourdeur, en usant de la grande Histoire comme d’un révélateur bien plus que comme un acteur de son récit. Cela ne l’empêche nullement de nous montrer, de l’intérieur, ce qu’était cette guerre et ce que sont finalement toutes les guerres. Il nous présente les journalistes, dont Hemingway… Il nous raconte les différentes mouvances qui, du côté des républicains, se combattaient dans l’ombre, il nous relate les trahisons, entre autres de l’URSS, pour des raisons qui n’avaient rien d’idéologique.
Ce qu’il nous décrit, aussi, c’est ce qui, justement, peut permettre à l’humain de contourner son destin et de rendre à ses actes un pouvoir vraiment personnel : le sentiment amoureux !
Dans la même thématique, Juillard et Yann nous avaient enchantés avec Double 7. L’approche peut se révéler similaire, mais le traitement, lui est tout à fait différent. Avec Vianello, les dogmatismes et les idéologies ne sont qu’esquissées… Elles sont les éléments d’une vie, et, loin justement de l’existentialisme, elles influencent cette vie tout en lui laissant la liberté de se vouloir autre.
Vianello est un auteur complet, auquel il faut donner la place qu’il mérite. C’est un formidable narrateur pour qui les mots et les dessins sont en totale osmose. C’est un auteur d’aventures, au sens large du terme, toujours humaines, toujours révoltées aussi, mais sans pédantisme, sans manichéisme. Et ce Hispaniola appartient à ces albums qui se lisent facilement et donnent l’envie de les relire, afin d’en redécouvrir ainsi toutes les saveurs…
(par Jacques Schraûwen)
Actua BD