L’Île d’Om – Un récit entre l’ici et l’ailleurs, entre laL’Île d’Om
Les éditions Mosquito ont une politique d’édition qui mérite l’attention, incontestablement. D’une part, il y a une belle défense d’un patrimoine du neuvième art trop souvent oublié, et, d’autre part, une ouverture vers des auteurs nouveaux qui ne manquent pas d’intérêt.
Appartenant à cette deuxième catégorie des choix éditoriaux, Marc Jondot, l’auteur complet de ce livre-ci, fait preuve d’emblée, avec son tout premier album, d’une belle maîtrise graphique.
Du côté du scénario, l’intrigue semble au premier abord simple : Dans une bourgade en bord de mer vivent un oncle et son neveu. Dans leur grande demeure plane l’ombre d’une femme, la tante Jeanne, disparue il y a bien longtemps, et laissant son mari dans une sorte de longue dépression rageuse et presque haineuse.
Le neveu Arthur est devenu son homme à tout faire, à tout subir, à tout devoir supporter. Il est jeune et se réfugie dans le rêve pour oublier les réprimandes et les injustices… Pour s’oublier.
Et voilà qu’un jour, dans cette petite ville, la mort envoie un stagiaire pour emmener dans des au-delà qu’on ne dit pas ce jeune Arthur qui n’est en attente de rien, ni d’existence ni de décès.
Un au-delà l’attend, donc, sur une île, l’île d’Om.
À partir de ce canevas tout compte fait linéaire et d’une thématique classique, Marc Jondot construit un scénario qui file un peu dans tous les sens. Mais chacune des dérives de ce scénario mène, on le sent, inexorablement vers des retrouvailles avec cette fameuse tante.
Je parle de dérives, de digressons plutôt…
C’est qu’il s’agit d’expliquer qui sont ces personnages, qui sont les envoyés de la Mort.
C’est qu’il s’agit de les ancrer dans toutes les mythologies qui en parlent, les mettent en scène, de l’Ankou breton aux zombies du Vaudou, en passant par le fleuve des enfers qu’il faut traverser pour quitter la vie, en passant aussi par la symbolique puissante du chat, animal de mystère auquel on prête plusieurs renaissances possibles.
Il en résulte toute une série de récits parallèles, de portraits, aussi… Celui d’Arthur, perdu dans une aventure qui le dépasse, celui de la tante Jeanne, celui de cet assistant de la mort et de ses gaucheries, celui de personnages étranges à la poursuite d’un chat, celui de membres d’équipage aux mémoires éteintes.
Ce qui est remarquable, avec Jondot, c’est qu’il crée un univers proche du nôtre, avec ses règles, ses codes, ses réalités, ses imaginaires, et qu’il nous y emmène à sa suite, qu’il nous y perd, même, jusqu’à ce que, lecteurs comme envoûtés, on accepte de ne chercher aucune raison ni aucune logique à ce qu’il nous raconte.
C’est, vous l’aurez compris, un livre déconcertant. C’est aussi un livre qui puise ses influences dans une littérature que l’on peut qualifier de « fantastique européen »… Il y a du Jean Ray, celui de « Malpertuis », d’évidence… Il y a aussi du Marcel Béalu, celui de « L’Expérience de la nuit », il y a du Gérard Prévot, celui des "Contes de la mer du nord »… Il y a surtout un respect des ambiances de tous ces auteurs, parfois oubliés, qui fait que ce livre qui nous parle du mystère de la mort en devient un mystère également…
Marc Jondot, pour un premier album, a sans doute voulu trop raconter, et on peut regretter, dès lors, certains raccourcis qui laissent le lecteur sur sa faim. Mais ce qu’on se doit de souligner, c’est le talent qu’il a de mettre en scène des lieux et des personnages ancrés les uns aux autres. Par son scénario, d’abord. Par son dessin, aussi, en noir, en blanc, en ombres plus qu’en lumières, en mouvements et en mouvances, avec un rendu des décors, architectures et textures des pierres et des vagues, extrêmement réussi. Il s’inscrit là, graphiquement, dans la filiation de génies comme Gourmelin ou Cardon… Quant à sa manière d’approcher des êtres avec son dessin, de les narrer plus que de les montrer, il se rapproche des travaux de Guillaume Sorel. C’est d’ailleurs tout ce mélange d’influences qui fait toute la qualité de son travail !
Un livre, donc, à découvrir, en ayant la certitude que Marc Jondot est en passe de devenir un artiste important !
(par Jacques Schraûwen)
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