Le Cauchemar argenté de Bouchard, la guerre des mondes n’aura pas lieu… tout de suite
Le Cauchemar argenté, mais qu’est-ce que ça peut bien signifier ? Patience, patience, pour le comprendre, il vous faudra arriver au bout des deux-cent pages du passionnant roman graphique, science-fictionnel, très fifties et grand-format de Grégoire Bouchard. Son héros, Bob Leclerc n’est plus de toute première fraîcheur et pourtant, il n’est pas trop tard pour s’y intéresser. Mieux, il est grand temps de le rencontrer. Telle une comète qui se serait échappée de l’âge d’or de Métal Hurlant, pas si loin de Serge Clerc.
Dérouiller, dérouiller, rien n’est moins sûr et ce n’est tout de façon pas demain la veille. Si Bob Leclerc, fringuant vétéran et pilote de la guerre du Viet Nam (créé dans les années 90 dans le magazine Iceberg et qui a connu, en 2008, chez Paquet, un premier album, Vers les mondes lointains, malheureusement introuvable), n’a pas été dur à recruter et qu’il a vite pris la route de cette station militaire et spatio-technologique au milieu de nulle part (mais toujours au Canada), reste à se remettre d’aplomb pour cette périlleuse mission spatiale. Nous sommes en 1959, Kennedy n’est pas encore le président des États-Unis mais, surtout, l’Homme n’a pas encore mis un seul pied sur la surface lunaire ni même brisé la loi de l’attraction terrestre : l’Espace et son exploration restent, pour le grand public, des chimères tout justes bonnes à alimenter les romans de science-fiction.
Et dans un roman de science-fiction, rehaussé du dessin fantastique et ne laissant rien au hasard de Bouchard, nous y sommes. Le temps d’arrivé dans cette base aux abords de laquelle les lapins et les ours s’arrêtent un instant pour voir les hommes douter. Douter sur tout et rien, sur leur faculté à atteindre les étoiles ou à repousser la mort, à maintenir la tête dans l’eau quand l’appel de la bouteille est trop fort. À collaborer avec celui qui, longtemps, fut pourtant l’ennemi, aussi.
Au rythme de deux, quatre ou six cases maximum par planche, mais aussi des entraînements physiques et des séances académiques sur des sujets fort complexes, Grégoire Bouchard nous attire dans ce microcosme plombé par l’obligation de réussite et de rester sérieux. N’ayez crainte, pour le moment, pas de martiens, pas de monstres ici, ou alors si peu, comme cet extra-terrestre à l’apparence humaine dans un train ou ce Godzilla qui peuple la légende d’un vieil Indien. Non, pas de danger à l’horizon, reste à ne pas devenir fou dans ce carcan connu de quelques-uns et dont le salut de l’humanité dépend pourtant infiniment.
« On ne négocie pas son salut on l’impose. » Pas le temps de comprendre la maxime, c’est reparti pour un tour, pour un cours et l’enseignement abrutissant se perpétue de jour en jour, et que l’action vient sortir de la torpeur le temps de quelques cases. Nous, lecteurs, on tente parfois le raccourci, de faire fi de ses concepts abstraits et à la pointe de la technologie qui s’agglutinent dans les phylactères – il faut dire que Grégoire Bouchard connait son sujet sur les bouts des doigts et se révèle méthodique et méticuleux, à toute épreuve – mais pas question de lâcher la lecture car quelque chose nous retient, nous obsède : on se doit de percer le mystère de ces gueules, au-delà des propos obscurs et tarabiscotés qui ne servent finalement qu’à ancrer intelligemment le récit et à endoctriner les héros, pour les empêcher de voir l’essentiel. D’ailleurs, qui de l’Homme ou du Martien est vraiment le plus hargneux, le plus vil, le plus criminel ? On n’en sait rien et les autorités embrayent sur la théorie, se gardant rien de nous parler de la « menace », aussi hypothétique soit-elle.
Pour le moment, en tout cas, tout semble si calme dans cette plaine que viennent déchirer la fusée et son installation de propulsion. Tout est si simple dans cette nature qui a repris ses droits par endroits et tout parait si compliqué dans ce mélange foutraque de bâtiments et de manettes au sein de la fusée. On n’ose se demander combien de temps Grégoire a passé pour accoucher de telle ou telle case, de celle-là aussi, sur toutes ou presque, en fait. Sans doute, s’est-il donné corps et âme, comme ces savants fous qu’il met en scène, mais cette dinguerie en valait la peine. Le résultat est incroyable et fascinant, d’une maîtrise totale. Et, alors que la fusée quitte terre de manière tonitruante, on se demande bien ce que l’équipage trié sur le volet et emmené par Bob Leclerc va bien pouvoir trouver sur sa route spatiale. Le vide et le calme infini ou la baston tant attendue ? Mystère et boule de gomme mais quoi que ce soit, on est preneur. Et la réponse viendra vite, dans les 176 pages de Terminus, la Terre qui paraîtra en juin, toujours chez Mosquito.
Notons que Grégoire Bouchard conçoit ses albums de Bob Leclerc comme des récits complets pouvant être lu indépendamment les uns des autres mais qu’il va sans dire que Terminus, la Terre prolongera Le Cauchemar argenté qui, lui-même, connaissait des prémisses dans Vers les mondes lointains. Grégoire Bouchard espère que ce premier chaînon manquant pourra être réédité chez Mosquito. Et nous, on prie pour que les courtes histoires qui ont donné naissance au mythe Bob Leclerc trouvent aussi la place dans un album. Il ne reste plus qu’à croiser tout ce qu’on peut. Ça en vaut la peine ! De son côté, Grégoire Bouchard vole vers d’autres aventures de son héros.
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