Depuis le 6 mai (et jusqu’au 31 août) se tient une très importante exposition de Toppi à la Maison de l’Aventure Industrielle de Thiers, regroupant plus de 350 dessins originaux de l’artiste autour du thème des tarots. Sergio Toppi avait reçu en 1987 une commande pour dessiner les images d’un jeu de tarots divinatoires. Tout d’abord quelque peu réticent (l’artiste n’a pas envie de verser dans l’occultisme ou le charlatanisme), Toppi finit par franchir le pas en abordant la chose sous un autre angle. En effet, un jeu de tarots divinatoires, ce n’est pas que l’outil magique, c’est aussi une galerie de visions, une cosmogonie en éventail, une structure de l’imaginaire. Prenant comme thème nos origines humaines, Toppi s’est éloigné d’une certaine idée moderne et mercantile de la divination pour revenir à un aspect plus tellurique des choses, son travail s’apparentant alors à une sorte d’ethnologie shamanique nous faisant replonger au sein des éléments fondamentaux qui – entre magie et réel – ont fait émerger la conscience humaine. En ne versant jamais dans la facilité que pourrait induire ce contexte des oracles, Toppi exprime finalement une magie bien plus proche de l’anthropologie que du folklore.
C’est effectivement en pleine préhistoire que ce « Tarots des origines » nous invite – très loin des clichés. En quatre « familles » qui sont à la fois thématiques et chromatiques, Toppi explore les facettes de l’homme primitif, ses croyances, son accession à l’outil, sa condition et son environnement. Les bleus pour les âmes : ici, donc, il sera question de l’émergence de l’âme, du miroir vers les rêves, du cheminement spirituel du chant et de la musique, de l’idée de la mort, de la notion de la connaissance de soi, de ce qui nous pétrit… Les jaunes pour les bijoux : comment le métal devient parure et symbole, comment il se transforme en couronne ou en masque, accompagnant les identités et exprimant leur rang une fois forgé par la main de l’homme… Les verts pour la nature : des nouvelles feuilles des arbres jusqu’aux roches ancestrales, l’environnement de l’homme lui fait prendre conscience qu’il n’est pas en dehors de la nature mais au contraire au sein des éléments qui l’entourent… Les rouges pour le sang : sang synonyme de vie, de mort, de naissance, de survie, de violence…
L’album reprend l’intégralité du jeu de tarot, soit 56 belles images reproduites en pleine page dans cet album en grand format qui donne toute leur valeur aux dessins de Toppi. Usant des encres comme de lumières révélatrices, l’artiste milanais n’en finit pas de nous émerveiller par la beauté de ses visions, la manière dont il traite graphiquement un sujet, combien il marie avec maestria les nappes de couleurs et les alambics du tracé. Pinceaux et plumes se répondent dans des compositions ne cherchant pas la fioriture ni les arabesques magiques mais bien la trace anthropologique des motifs dont l’esprit a paré le corps. À l’instar des quatre éléments, les quatre couleurs utilisées par Toppi pour constituer ses familles induisent une structure générale par complémentarité de fondamentaux. Au-delà de l’ambiance colorée, il y a la symbolique de la couleur, son expression, sa température, son aura et sa capacité à incarner l’idée, le concept, le sentiment. Dieu sait que Toppi est un maître du noir et blanc, mais lorsqu’on a admiré ses admirables chatoiements dans une œuvre telle que « Sharaz-De », on doit bien se rendre à l’évidence et voir en Toppi un sublime enlumineur chromatique. Ici, la couleur se fait plus pleine, plus évidente, semblant vouloir éclater dans son essence même.
Nul doute que le maire de Thiers et la Maison de l’Aventure Industrielle sont fiers d’exposer ces nombreuses œuvres, mais aussi d’avoir eu l’honneur de la présence de Toppi lui-même le soir du vernissage ! Car le choix de la ville de Thiers n’est pas anodin, la ville ayant un riche passé en ce qui concerne la forge et le papier, comme le rappelle le maire en exergue de l’album (du 12ème au 17ème siècle, Thiers produisit le papier de l’illustration, de l’imaginaire et des cartes à jouer). Un lien que Jean-François Guérin explique aussi dans sa préface de l’ouvrage, une préface tout à fait remarquable qui cerne et présente les prérogatives de Toppi avec une rare acuité. Deuxième album de la collection « Nec Plus » après le magnifique « Pinocchio » de Frezzato dont je vous ai parlé il y a peu sur ce site (et avant les très beaux « Impérativement » de Toppi et « Le Chat botté » de Battaglia qui sortiront début 2012 et dont je vous parlerai), ce « Tarots des origines » constitue un superbe écrin de l’art de Toppi et ravira tout fan du grand dessinateur, mais aussi tout amateur d’illustration de haut niveau. Mama mia, quelle belle collection : le « Nec Plus » est bien ultra !
Cecil McKinley, BDZoom