Kemlö est un beau polar teinté de fantastique de Michel Conversin, publié aux éditions Mosquito.
Kemlö est une ville-citadelle, construite sur un grand promontoire et dont on accède par un viaduc surplombant un immense précipice. D’immenses terrasses accrochées à des remparts font d’elle une ville sans fin. La cité sombre et oppressante est quasi morte. Aucune enseigne sur les murs des magasins et des hôtels, aucune affiche et aucun journal publié.
Par une fin d’après-midi de juillet, Olga, par-dessus, chapeau et unique valise, arrive à Kemlö. La jeune femme, dont on ne connaît rien du passé, vient prendre son poste de professeur de langue dans la classe de terminale du lycée de jeunes filles de la ville.
En attendant la rentrée, elle visite la ville sans réel but, juste celui de la découvrir. Plus les jours passent, plus elle descend vers les terrasses les plus basses de la ville, lorsqu’elle est surprise par un groupe d’hommes affamés, mal habillés, les plus pauvres de la cité. Elle est alors secourue par le Prince Falkenberg, bienfaiteur de Kemlö, qui s’empresse de tuer ces hommes de bas quartier.
Lui devant la vie, elle devient alors sa maîtresse. Un soir, confidences sur l’oreiller : elle lui révèle la vraie raison de sa venue ; ce qui ne plaît pas au Prince, qui décide de ne plus la revoir. Elle était là pour rechercher Denise, sa meilleure amie d’enfance avec qui elle eut des relations plus qu’amicales…
Le récit très sombre de Michel Conversin est oppressant, fleurtant parfois avec le surnaturel et mettant en scène des personnages très forts. Mais la vraie héroïne de cette histoire, c’est Kemlö : cette ville sans âme, aux proportions démesurées et au régime passéiste quasi dictatorial fondé sur des clans (ville haute avec la noblesse, ville basse avec le bas peuple). L’histoire mêle aussi la perversité et le sexe. Olga, femme qui se cherche, ambivalente : entre volonté d’oubli, de réinsertion par son métier et volonté nostalgique afin de retrouver son passé, son amour de jeunesse. Sans dialogue, c’est la jeune femme qui en est la narratrice dans des cartouches en haut des vignettes. Le trait en noir et blanc de l’auteur de Guillaume le conquérant (Centurion) est somptueux. Les décors magistraux de la cité dessinés comme un architecte montre la grandeur de Kemlö mais aussi son côté inhumain, sans âme. Quant aux personnages, leur style est épuré au contraire des costumes et décors intérieurs soulignés de fines hachures. Le découpage en gaufrier de 6 cases toujours dessinées verticalement rythme habilement le récit.
Damien Canteau (Case départ)