Avec un récit qui ne décrit que quelques semaines de quelques existences, les auteurs de ce livre nous font l’offrande d’une histoire qui nous touche, toutes et tous.
Hippolyte est veuf. Il a 86 ans. Il vit dans une petite maison de banlieue toute simple. Il a eu, il y a quelques années, un AVC, et c’est son fils qui est son tuteur. Un fils qui décide de vendre cette maison, de placer son père dans un home (EHPAD).
Ancien horloger, Hippolyte vit en compagnie de montres, partout, qui rythment de leurs tic-tac incessants les moments lents de son existence.
Pour accompagner ses jours, outre les rares rencontres avec son fils et ses balades qui le conduisent au cimetière où repose celle qui fut sa compagne pendant 52 ans, il bénéficie d’une aide à domicile, probablement une infirmière, qui s’occupe de ses soins. Une femme qui a le don d’énerver le vieil Hippolyte. Jusqu’au jour où, tombée malade, cette virago est remplacée par une jeune femme, la jolie et souriante Sidonie…
La clef de Sid’, qui donne le titre de cet émouvant ouvrage, c’est donc cet ustensile qu’elle possède, le temps d’un remplacement professionnel, pour entrer chez Hippolyte.
Vous me direz que le thème n’est pas nouveau, et je vous donnerai raison, bien évidemment ! Combien de fois n’a-t-on pas lu ou vu ce genre de situation : un vieillard reprenant goût à la vie grâce à une jeune femme ?... Eh bien, ce n’est pas du tout le cas ici !
Hippolyte n’a pas perdu l’envie de vivre. De temps à autre, son ancien métier lui occasionne encore des rencontres afin de réparer, rien que pour le plaisir, des horloges de toutes les époques. En parallèle de son amour pour Marie, son épouse, ce métier fut une véritable passion, qu’il conjugue d’ailleurs toujours au présent.
Entouré de ces attrapeurs du temps, il se dit : « Tant que les secondes s’égrènent, c’est que tout va bien. Le jour où je ne les entendrai plus, par contre, il faudra s’inquiéter, c’est que mon heure aura sonné… ».
Et les contacts qu’il a avec Sidonie ne sont pas un dialogue plus ou moins convenu entre jeunesse et vieillesse. Ils représentent des échanges entre deux humains enrichis d’expériences différentes, et tous deux aussi curieux de la vie et de ses possibles.
Ce livre, croyez-moi, est un petit bijou… On y parle de l’âge, des espérances déçues, de la transmission, de la famille qu’on ne choisit pas, de l’amour qui n’est pas qu’une souvenance. On y parle du futur, qui n’est jamais le même pour ceux qui pourtant partagent une même réalité.
On y parle de la mort aussi, bien évidemment… Et la manière dont les auteurs l’abordent est à la fois d’une puissance exceptionnelle et d’une pudeur rarement vue en bande dessinée ! Comme dans « Les Vieux » de Jacques Brel, on se trouve ici dans un poème sans tristesse mais sans illusion, dans une tranche de vie entre hier et demain, sans qu’on sache ce que sera demain, sans qu’on connaisse vraiment ce qu’a été hier…
Émouvant poème de mots et de dessins, ce livre permet au scénariste Guillaume Tenaud de faire la preuve d’un talent extrêmement délicat, fait pour la bande dessinée.
Il donne aussi l’occasion au dessinateur Frédéric Claverie, venu du monde des jeux vidéo, de nous offrir un dessin en blanc, noir et gris, parfaitement maîtrisé, avec des nuances qui jouent à la fois avec la lumière et les physionomies des personnages, fort d’un découpage cinématographique, mais pas dans le style Marvel and Co, heureusement !... Et il réussit ce que très peu de dessinateurs parviennent à faire : exprimer toute la palette des émotions, de la tendresse à la colère, de la peine au désespoir, rien que par son travail sur le plissé des yeux, sur les mouvements des lèvres.
Vous l’aurez compris, ce livre est pour moi un vrai coup de cœur ! Un moment de lecture en dehors du temps, en compagnie d’un horloger et de ses deux assistants réalisateurs…
(par Jacques Schraûwen)
actua BD