A force de suivre l’étoile comme les rois mages en Galilée, on avait oublié que dans tous les mythes (encore plus fondateurs), il y a des parts d’ombre. C’est dans un noir et blanc très encré que TBC refait l’Histoire et la religion. Parce que les récits qui ont été abondamment popularisés (jusque dans les chambres d’hôtels les plus saugrenus) ont avant tout été triés sur le volet. À la Moulinsart, quoi. Et les récits ne partageant pas la bonne nouvelle ont été écartés et, logiquement, oubliés. Restent de gros doutes sur la véracité de l’histoire la plus lue au monde.
Et si Jésus n’était pas le fils de Dieu mais le fruit d’une relation extra-conjugale des plus terre à terre ? Une tête de Turc qui allait vite s’affirmer à l’ombre des sinistre croix qui peuplaient, comme des éoliennes, les hauteurs galiléennes. Le saint Esprit n’ayant rien à voir avec son destin, l’élu de quelques-uns a su sentir le vent pour devenir la marotte de beaucoup plus.
Sous le plus grand chapiteau du monde, Yeshua et ses disciples et apôtres, qui n’avaient de toute façon rien à perdre, allaient jouer les Insoupçonnables du grand bac à sable de Judée et donner vie au messie. Une star de son temps créée de toutes pièces au fil des innovations spirituelles, des tours de magie plus ou moins accomplis et des plagiats, du pain (pas vraiment multiplié) et des jeux (des apparences). Jésus, manipulateur qui serait à son tour manipulé, de coups de chance en hasards, aidés par un bagout incroyable mais parfois défaillant. Jésus qui s’est servi du prétexte de l’élu servi sur un plateau de rois mages par Jean-Baptiste (qu’il a sans doute fait assassiner, soit dit en passant) pour devenir ce sauveur.
Au fil de l’histoire que nous raconte TBC par l’intermédiaire du récit d’Aaron (mieux connu sous le nom de Philippe, l’apôtre) à un jeune scribe, les éléments sont archiconnus mais l’angle et la façon de voir les choses différent tout en s’imbriquant parfaitement. Dans cette relecture fictionelle, ou plutôt cet essai incroyablement renseigné (plus que la Bible, finalement), le pire, c’est que tout se tient. Les faux-miracles ingénieux (les noces de Cana et les miraculés grassement payés, Jésus n’a pas marché sur l’eau mais inventé le surf) et des ratés pathétiques (la colère au Temple n’était qu’un pétard mouillé, le couple entre Magdalena (qui illustre plutôt pas mal la force des femmes !) et Jésus, le poids du collectif derrière un Jésus qui se la joue parfois perso, l’arrivée pas si incongrue de Judas l’Iscariote, une légende née sous le signe du poisson.
Ou comment un homme qui avait peu de charisme et qui parlait faux, s’est perfectionné, profitant des circonstances, pour devenir un leader suprême dont certains attendent toujours le retour. Jésus et ses apôtres n’étaient en réalité que de petites frappes qui ont bien joué le coup. Chaque grand moment (si ce n’est la résurrection de Lazare) de la vie du Christ-qui-l-eût-cru est ainsi démonté et opposé au reflet du réel bien moins glorieux.
Si l’on veut être tatillon, on reprochera à cette édition francophone d’avoir oublié un dossier documentaire (parce que ce n’est pas la première fois que nous avons vent de cette magouille universelle, internationale et millénaire) expliquant comment l’auteur en est arrivé à ses conclusions implacables. Pour le reste, en trois chapitres bien équilibrés, de son dessin réaliste avec des poussées de caricatures bien senties, TBC prouve que la BD est un moyen fantastique pour appuyer cette histoire incroyable et sans doute plus crédible que l’originale. Amen.
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