Résumé :
1939, Londres, dans le salon de l'Explorer Private Club, devant quelques auditeurs curieux, Teddy Bragg revient sur ses périples passés, où il a côtoyé la mort, le frisson, la grande aventure, les femmes, les trésors et les rencontres improbables. L'ancien explorateur raconte avec emphase ses odyssées multiples et héroïques. Mais si le vaillant Teddy ne ment pas sur ses voyages extraordinaires, il omet de préciser qu'étant couard, l'image de l'explorateur intrépide mise en avant dans ses récits ne colle pas forcément à la réalité.
Mon avis :
Teddy Bragg est donc un menteur un tantinet lâche. Et pourtant, au fur et à mesure de ses aventures parfois plus chimériques qu'homériques, il se révèle un personnage attachant.
Ce faux héros se perd entre l'Afrique et l'Asie, l'Inde et le Pacifique, mais il conserve une certaine chance qui lui permet de trouver souvent plus courageux que lui pour se sortir des mauvaises passes où la malchance l'a entraîné.
Chance et malchance, les deux faces d'une même pièce portant le nom de Teddy Bragg ! Vianello nous le rend attachant car s'il aime l'argent, Bragg n'est pas cupide, et s'il n'est pas courageux, il reste un trouillard cabotin qui n'est pas dangereux. Contrairement à des tas d'autres aventuriers, Teddy ne tue personne ou alors, c'est vraiment involontaire. Par contre, il se retrouve témoin de plusieurs meurtres et sa révolte intérieure nous montre bien que ce piètre héros n'en est pas pour autant un tueur méprisant et qu'il dispose d'un certain sens de l'honneur.
Le recueil de Mosquito regroupe sept histoires de ce fanfaron haut en couleur (paradoxal pour une BD noir et blanc), dont deux inédites, et constitue donc une belle intégrale pour cette mini-série.
L'auteur apporte un souffle d'humour sur le format classique de l'aventure lointaine. On y croise des personnages de fiction, comme Corto Maltese évadé de l'imaginaire de Pratt ou le capitaine Kurtz, échappé des pages de Conrad mais le rapport entre la réalité et le récit en voix off de Teddy nous permet de sourire à des situations parfois dramatiques.
Mon petit bémol serait le suivant : Il est dommage de ne pas voir plus exploré cette facette du caractère de Bragg et d'en avoir joué. Car dans certains récits, ce second degré se perd un peu et c'est pourtant ce qui fait tout le sel et l'intérêt de ces histoires.
Il manque aussi un peu de piquant dans les dialogues, parfois classiques, directs et souvent dénués de sous-texte. Sans doute pour éviter de faire doublon avec déjà le recul que prend Bragg quand il raconte... Mais ces petits défauts – à mes yeux – ne vous empêcheront pas de vous plonger dans ces récits de voyage et de dangers.
Graphiquement, Vianello joue sur les contrastes du noir et blanc. Personnages clairs dans la nuit sombre, ou nuit éclairée transformant des promeneurs nocturnes en ombres noires. Discrètement, Vianello explore les possibilités de ce style, et si Corto Maltese est présent, c'est parce qu'on sent l'influence de Pratt derrière tout cela, et Vianello sait rendre hommage au maestro.
Quand on voit les couleurs en aquarelles des couvertures et dos de couverture, on regrette de ne pas avoir quelques planches coloriées au long de ce tome. La couverture, de composition simple, ne manquera pas de vous interpeller pour regarder ce bateau discret flottant sur une mer ocre derrière les personnages.
La composition des planches est assez simple, des gaufriers de trois bandes découpées en une à trois cases. Ce choix permet d'offrir une belle visibilité à chaque case. Et cela n'empêche pas Vianello de jouer sur une mise en scène poussée comme ces dessins penchés dans la case quand Bragg se retrouve sur un bateau secoué par la houle. Dans le dessin, et même dans les onomatopées, l'influence de Pratt se fait sentir. Et cette ironie du personnage pourrait rappeler celle de Corto. Sauf que Bragg, quand il vit ses mésaventures, ne parvient pas à prendre du recul, il panique, se cache, s'enfuit, ce qui le rend plus drôle et plus humain, plus attachant. Le recul et le regard décalé ne viennent qu'après, quand Teddy raconte à son auditoire ses glorieuses aventures en enjolivant la réalité. Dans la lignée de Corto, Bragg se différencie pourtant pour notre plus grand plaisir.
Cette BD est une découvert intéressante. Une rencontre avec un héros de papier dont on souhaite presque, en refermant ces plus de deux cent pages, lire une autre nouvelle aventure ! Laissez-vous donc tromper par ce fanfaron...
7 BD