Dans ce Cuba qui n’a pas encore connu la révolution, les rues grouillent de tripots et de bars dans lesquels le rhum coule à flots avec, en devanture, pour attirer le chaland, des putes plus ou moins fraiches soutenues par des macs pas forcément tendres. Dans ces établissements moins prestigieux que leur se produisent quelques gratteurs de guitare sèche qui déclinent leurs chants en hommage à des muses inaccessibles. Segundo est l’un d’eux. Venu à la capitale pour faire entendre sa musique à un public chauffé par l’alcool, le sexe et le jeu, il croise un jour le regard d’une de ces filles de joies aux formes plutôt généreuses qui écoute dans un bar de seconde zone la musique tout droit sortie d’un juke-box capricieux. Elle chante parfois d’une voix de sirène pour ceux qui tombent sous son charme, plus maladroitement pour les autres. Elle se nomme Rosa de Francia. Un brin de femme de caractère qui va devenir la muse des chants de Segundo. Au fil des rencontres, des échanges et des promesses aperçues, Segundo va densifier son chant, le teinter de nervures et d’une dramaturgie digne des meilleurs crooners. Le seul hic à ce tableau angélique se trouve en Berto, le mac de la dame, un fou furieux capable du pire lorsque s’approchent de trop près les multiples clients qui tombent amoureux de la belle et lui promettent des voyages bien plus lointains que les trottoirs de La Havane...
Un récit de rien, une simple histoire d’amour impossible entre un musicien un brin naïf et une prostituée née pour son métier. La belle détournera le prétendant de sa raison, sans le vouloir vraiment et sans rien promettre non plus. Avec ce qu’il faut de dramaturgie pour teinter la page de noirs et de gris, avec un blanc un brin fuyant sur l’horizon, Izquierdo et Valdera donnent à voir cette vie prérévolutionnaire dans un Cuba qui vivote du passage de riches gringos qui déversent tout à la fois leurs dollars dans des établissements peu fréquentables et leur foutre sur des terrains humides et souvent dangereux. Ça sonne comme un riff de guitare entêtant et tragique rehaussé d’un espoir ingénu. Un paradis accessible à ceux qui y croient ou qui, aveuglés par cette beauté de façade, oublient les dangers qu’ils renferment et qui laissent finalement peu de chances de retour...
Seb (Maxoe BD)