cette BD réunit six nouvelles de Sergio Toppi. Six récits étalés de 1976 à 1988 et parus en Italie dans des revues et périodiques. Six nouvelles qui font sens une fois réunies, puisqu’elles sont liées par le lieu où elles se déroulent, la nature américaine, et par l’époque, les temps du western. Mais pas de duels épiques, de ruée vers l’or fratricides, d’histoire d’amour mélodramatique, de charges de cavalerie. Il s’agit juste de suivre une personne vivant à l’écart pour trouver la paix, pour faire son business, pour fuir la loi ou pour chercher de l’or. Une personne qui sera le protagoniste de la nouvelle. Une personne dont nous allons découvrir le caractère à travers son mode de vie et son rapport à l’environnement. Car cet environnement tient une grande place. Chaque récit fait part d’un voyage, de loisir ou de survie, qu’il soit le centre de l’histoire ou pas mais d’un voyage. Chaque héros va se confronter à un moment à la nature sauvage qui l’entoure. Soit il la traverse, soit il l’affronte. Mais cette nature est toujours là, elle cerne l’homme, le domine, l’écrase ou au pire le laisse tranquille. Si la nature est un ennemi redoutable et redouté, le pire adversaire des héros de ses histoires reste l’être humain, que ce soit celui qui rôde près d’eux ou eux-mêmes, chacun va devoir se confronter à l’humanité pour survivre... Ou pas !
Narré à la troisième ou à la première personne, ces nouvelles gardent une unité étrange, au-delà des années qui séparent leur première diffusion, comme si de tous temps, elle formait déjà un tout.
C’est donc un album bien pensé et non une vulgaire compilation que nous offre l’éditeur Mosquito.
Nous n’irons pas dans le détail de ces six nouvelles, elles sont curieuses car elles mélangent une narration à l’européenne qui n’est pas sans rappeler Maupassant, avec les mythes de l’Ouest, comme l’or et le colt.
Toppi sait réveiller notre curiosité en créant des situations naviguant entre fantastique et psychologique.
Et même si certaines histoires nous donnent une impression de déjà-vu ou déjà-entendu, on prend plaisir à voir comment l’auteur les tord pour parfois en faire surgir de belles surprises.
Toppi nous offre ces quelques pépites dans un bien bel écrin, car c’est lui qui assure aussi le dessin. Son utilisation du trait et de la hachure renforce ces ambiances si particulières. Les volumes des visages marqués par cette technique se confondent parfois avec les traits des barbes, les décors prennent aussi une ampleur grâce à ces hachures qui se heurtent et s’opposent, que ce soit dans les simples rondins d’une cabane, une veste d’amiral ou dans les arbres d’une forêt.
Le recueil est en noir et blanc sauf une nouvelle, « Katana ». Là, les couleurs pâles prennent le relais des hachures même si celles-ci restent - moins - présentes. Mais jetez un œil aux décors naturels de « Répondrez à ma question », ces rocs, ces arbres, ces chemins, ces feuilles et admirez comment Toppi donne vie à ces lieux, d’une manière presque étrange, jouant sur son style et sur les aplats de noir. Cette nature si dense est omniprésente dans les cadres. Parfois, même elle déborde !
D’ailleurs, la densité de certaines cases peut faire un peu peur et il faut acclimater ses yeux pour y resituer la scène dans son ensemble.
Toppi aime jouer sur les compositions et les cadrages qui alternent les gros plans sur un objet et les plans larges, mais en hauteur, sur un personnage, un lieu.
Les dessins d’un personnage plein pied sur une page, bordée par les cases qui nous livrent la suite de l’histoire, ces cases sans bordure où tout semble dépasser, permettant aux dessins de se mélanger d’une case à l’autre. Toppi aime casser le cadre, brouiller les limites. Certes, on pourrait dire qu’il aurait pu pousser plus loin l’expérience mais il nous offre déjà avec ces six récits une belle part de son art. Bien sûr, il faut apprécier ce style particulier et certains auront du mal à s’immerger mais une fois accepté ce postulat graphique, on s’émerveille des variétés que Toppi a su y apporter.
Colt Frontier est une belle anthologie des nouvelles western de Toppi, l’occasion de découvrir six récits homogènes par leurs thèmes, traités comme des nouvelles, et aussi de voir le talent et la particularité graphique de cet auteur qui nous a quittés il y a quatre ans déjà.
David Neau (A voir, à lire)