On reste en Argentine avec Dieter Lumpen, récemment sorti chez un autre chouette éditeur dont je vous ai souvent parlé ici : Mosquito. Jorge Zentner a fui la dictature argentine en 1977, et c’est en Espagne qu’il rencontra le dessinateur Rubén Pellejero. Ensemble, ils allaient collaborer sur un certain nombre d’albums dont la série Dieter Lumpen, sorte de récit d’aventure quelque peu distancié. Le dessinateur de comics Tim Sale le dit dans son introduction : outre la qualité du noir et blanc de Pellejero, ce qui lui avait fortement plus lorsqu’il avait découvert cette œuvre, c’était l’esprit de celle-ci, le ton qui la caractérisait, un peu mélancolique et désabusé, avec un charme certain. Et c’est vrai que les aventures de Dieter Lumpen ne ressemblent pas vraiment aux autres, nous ne sommes pas dans l’aventure pure et dure telle qu’on l’entend habituellement, car de l’aveu même de Zentner, le personnage de Lumpen n’a pas été créé pour en faire un protagoniste incarnant un véritable héros vivant d’incroyables péripéties très physiques. Dieter Lumpen ne s’embarque pas dans l’aventure parce qu’il serait un héros téméraire et frondeur : c’est le contraire, puisqu’il se laisserait plutôt embarquer par le courant de la vie, se retrouvant là où elle l’a mené. Il n’a pas de profession et accepte divers boulots qui le poussent à voyager ; c’est là que l’aventure surgit, malgré lui. Mais il n’est pas non plus un fantoche fade subissant tout et n’importe quoi... Disons qu’il a un caractère assez nonchalant, peut-être un peu désabusé, et que si l’homme se retrouve dans des contextes parfois louches, il a indiscutablement un bon fond. C’est donc un personnage assez sympathique, discret, dont les failles nous touchent naturellement et qui engendre l’empathie. Il y a de la finesse, dans ces aventures-là.
Dieter Lumpen 1
L’exotisme est constamment au rendez-vous, les noms de villes, pays, régions étant nombreux et divers : Istanbul, îles grecques, Amazonie, Paris, Inde, Tunisie, Caraïbes, Venise, Chine, New York... Autant de voyages qui n’engendreront pas forcément l’aventure attendue, mais plutôt une sorte d’aventure intérieure, les liens de fraternité, d’amitié et d’amour étant une composante essentielle du récit, tout autant que les questions de choix possibles ou non – et de ce que cela implique quant à la direction de vie que l’on prend. Nous ne sommes décidément pas dans la caricature mais dans la subtilité, la sensibilité, et les dessins de Pellejero conviennent parfaitement au script de Zentner. Tim Sale a raison : avec Dieter Lumpen, ces deux-là ont créé une œuvre et un héros d’une nature assez particulière, peu commune. « Un mélange d’extravagance, d’aventure, de romance et ce séduisant sens de l’exotisme, tout cela me fascinait. Je n’avais rien vu de pareil avant. », dit-il. On lit les aventures de Dieter Lumpen avec un très grand plaisir, et cette édition intégrale vous offrira près de 250 pages de bonheur si vous aimez l’aventure de qualité, idéale en cette période estivale...
Mortelle Culture n°194