Les racines d’Edmond Baudoin sont en Italie. Dans Roberto (6 pieds sous terre), il avait raconté l’émigration de son père; dans Made in U.S. (L’Association), il parlait de son voyageur de grand-père et, dans ses autobiographies, le petit Français évoque souvent l’autre côté de la frontière.
Les Baudoin viennent-ils de Naples ? Je ne le sais pas, mais en tout cas, Edmond a grandi avec les chansons napolitaines qui, au-delà, de leur ville ont embrassé tout le nord de la Méditerranée. On y trouve des textes ciselés, souvent plus importants que la musique elle-même, abordant tous les thèmes mais sous le spectre d’un langage si particulier, profondément oral et rythmique, qui prend tout son sens une fois chanté. C’est à cette richesse, ce genre figé par les spécialistes entre 1835 et 1945 mais à l’héritage bien plus contemporain, que le dessinateur rend ici hommage.
Dans un recueil à la fabrication luxueuse – grand format, belle reproduction, dos toilé... -, Baudoin illustre vingt chants typiques, divers et représentatifs, par de grandes peintures en couleurs. Le texte de chaque chanson est intégralement reproduit, puis traduit et commenté par Christian Charrier, qui signe aussi une préface historique, instructive et précise.
Baudoin est un grand dessinateur et un génie du noir et blanc qui, depuis une dizaine d’années, redécouvre la couleur avec plus ou moins de bonheur. Ici, cela varie. Certains tableaux sont magnifiques et d’autres plus maladroits, mais des pièces de maître se détachent. Parmi elles, ce sont souvent les plus simples qui frappent : la sobriété de Reviens à Sorrente, les petits cabochons croqués que l’on retrouve un peu partout, les amants du Monastère de Santa Chiara…
Constante des textes : une indéniable saveur. Derrière certaines descriptions pouvant faire penser à des bluettes, on trouve souvent une ironie douce, voire parfois des attaques frontales comme dans le très drôle Tu veux faire l’Américain, qui clôt l’ouvrage et se double d’une illustration aussi juste qu’incisive.
Mais il serait inconcevable d’éditer des chansons napolitaines sans les entendre ! Et pour ne rien laisser au hasard les éditions Mosquito ont joint un CD à l’ouvrage. Les vingt chansons y sont interprétées par Giuseppe Tutoro, qui s’approprie avec force ce répertoire.
Il est certain que le sujet, assez pointu, en éloignera certains, mais le livre – au tarif raisonnable vu l’objet – est tout à fait convaincant. Par le soin apporté à sa présentation, il plaira aux amateurs éclairés voulant un bel ouvrage portant sur leur passion; par sa pédagogie et sa facilité d’accès, il sera une porte d’entrée bienvenue pour ceux qui ont les oreilles curieuses. À vous de choisir dans quelle catégorie vous vous rangerez.
BoDoï