Miaou ! Voici un magnifique grand livre d’images qui fera ronronner de plaisir nos plus jeunes lecteurs et touchera sensiblement les adultes qui n’ont pas oublié. Quand un maître italien du XXe siècle rencontre un maître français du XVIIe, cela donne un « Chat botté » de toute beauté, aujourd’hui réédité par Mosquito…
La toute première version de « Le Maître chat ou Le Chat botté » de Charles Perrault est apparue dans un manuscrit illustré en 1695. Deux ans plus tard, il fut édité dans un recueil de contes intitulé « Histoires ou contes du temps passé ». Un conte qui dès le départ connut un grand succès, sûrement à cause de sa morale ambiguë et du caractère original de son héros félin malin, et qui ne cessa d’être repris et adapté aux quatre coins du monde. On connaît le goût prononcé de Dino Battaglia pour la littérature… S’étant penché avec passion sur Rabelais, Maupassant, Melville ou Poe (notamment) pour les adapter en bande dessinée, il ne pouvait rester insensible à l’univers merveilleux de Perrault. En 1975, « Il Gatto con gli stivali » parut dans les pages du Corriere dei Piccoli, dont le procédé d’impression ne permit malheureusement pas de restituer toutes les nuances des couleurs de Battaglia, les aplatissant en les simplifiant. Au départ agencée comme une vraie bande dessinée, cette adaptation est néanmoins une création hybride, mélangeant récitatifs traditionnels du conte, illustrations muettes et insertions de dialogues dans des bulles. Une optique intéressante, puisqu’elle installe d’emblée une narration à deux niveaux, nous faisant suivre le cours de l’histoire par le texte et nous donnant l’impression d’accéder an aparté aux sentiments profonds et directs des personnages…
Comment un petit chat réussit à faire accéder son maître à la richesse, l’amour et la réussite en faisant preuve de ruse, de culot et de mensonge : voilà une histoire que tout le monde connaît, et le simple nom de « marquis de Carabas » résonne encore dans bien des têtes… « Le Chat botté » est un conte dans la plus pure tradition fantastique, avec son héros animal qui parle, son ogre aux pouvoirs magiques, sa quête d’ascension et son histoire d’amour. Le roi, la princesse, le paysan… Nobles et roturiers se retrouvent mêlés à une intrigue où le merveilleux surgit pour changer le destin des personnages. Très loin de l’image fascinante mais sombre qu’en tira Gustave Doré en 1867 (fabuleuse gravure !), Battaglia, lui, aborde cette œuvre dans une optique bien plus douce, tendre et drôle. C’est tout à fait charmant ! Avec ses couleurs acidulées et son trait de plume le plus direct possible, l’auteur nous offre un spectacle à la fois naïf, réaliste et ludique. On sent bien qu’il compte toucher les plus jeunes sans pour autant bêtifier le propos.
Au sein de cette facture apparemment très classique, Battaglia installe pourtant un côté « cartoonesque » qui vient s’immiscer régulièrement dans cet environnement presque académique. Ainsi, les visages du roi, de certains paysans et de l’ogre tendent à la fantaisie alors que nombre de figurants (ou le marquis de Carabas) sont représentés dans une certaine normalité. De même, le chat parlant et l’ogre, personnages fantastiques s’il en est, ne s’inscrivent pas dans un environnement féerique, mais bien dans des décors on ne peut plus authentiques, Battaglia faisant même preuve d’un certain réalisme naturaliste, comme s’il avait fait ses dessins sur place, assis en pleine campagne et restituant au mieux ce qu’il voyait. Un environnement où le merveilleux surgit donc avec malice et force, pour notre plus grand plaisir. Le passage des transformations animales de l’ogre, par exemple, sont jouissives par le décalage qu’elles apportent, ayant presque un petit côté « Tex Avery ». Et puis, et puis et puis… Comment ne pas craquer devant la bouille de minou de ce petit héros poilu, franchement ? Battaglia a fait du chat botté un petit être potelé et malicieux totalement craquant, avec ses grands yeux de petit mignon et ses attitudes taquines, pataud malgré sa grande ruse. Adorrrrable. Trrrrrrop mignon. Bon, il faut que j’arrête, ce personnage me fait tellement craquer que je commence à ronronner…
En conclusion, chers amis, si vous avez des enfants alors n’hésitez pas à vous procurer cet album que vous aurez grand plaisir à leur lire, dans un grand format très bienvenu pour cela, donnant toute sa place aux images et au rêve. Assurément le genre d’album qui reste gravé dans les mémoires des futurs adultes, comme une madeleine de Proust. Amis des chats, je pense que je n’ai rien à ajouter, vous êtes convaincus ! Et pour ceux qui n’ont ni chats ni enfants, alors ce conte illustré par le très grand Battaglia ne saurait vous laisser indifférents si vous aimez l’art du maître. En éditeur respectueux et amoureux de la culture, Mosquito a repris en fin d’album le texte original de Perrault, illustré par la sublime gravure de Doré dont je vous parlais plus haut. Je n’ai qu’une chose à dire : miaw !
Cecil McKinley